Servigny, jeune bourgeois riche, noceur cynique, fait découvrir à un ami le salon de la « Marquise Orbadi », lieu chic-tendance de détente et d’amusement pour messieurs un peu louches de la haute société.
Servigny n’y va pas pour la marquise, mais pour sa fille Yvette, tout juste 18 ans, dont il est tombé sous le charme et qu’il compte bien être le premier à mettre dans son lit.
Yvette est très belle, intelligente, vive, passionnée, charmeuse. Lectrice, il lui offre beaucoup de livres. Élevée par sa mère seule dans ce milieu huppé festif, elle est aussi très candide. Yvette croit à l’amour qui l’entoure et rêve de trouver un mari qui pourra la choyer.
Elle vit dans l’insouciance et l’illusion de sa condition, s’imagine fille de prince ou de roi déchu, n’a pas compris que son environnement luxueux où règne la galanterie est un lieu de débauche, de faux-semblants, que sa mère est une courtisane.
L’ami de Servigny va devenir l’amant de la marquise, qui va les inviter tous deux à la rejoindre dans sa villa à la campagne, en bord de Seine, où elle et sa fille vont prendre leurs vacances d’été.
Yvette et Servigny vont à cette occasion se rapprocher. La jeune fille tombe peu à peu amoureuse et va suggérer à Servigny de la demander en mariage, puisqu’il prétend l’aimer. Celui-ci, tout à son objectif, va la laisser rêver.
Lorsque toute excitée Yvette parlera de ce projet à sa mère, la réaction froide de celle-ci la fera douter, observer, puis douloureusement comprendre.
Yvette va alors changer profondément, tenter de trouver des stratégies pour s’extraire de sa condition qui l’empêche d’être libre et d’accéder au bonheur, lutter, puis souffrir, déprimer, dans la solitude la plus totale.
C’est une nouvelle très pessimiste. D’une grande tristesse mais aussi d’une grande beauté. La sensation de malaise est permanente, montrant le talent de Maupassant à faire ressentir physiquement le vécu de son personnage. J’ai même senti les odeurs de chloroforme de la fameuse scène. Quel talent.
Dès le début, comme souvent chez Maupassant mais on s’en aperçoit en fin de lecture, il donne le ton de sa nouvelle. Ainsi, il nous offre un aperçu de l’état psychologique profond d’Yvette malgré sa joie de vivre apparente, bien avant sa prise de conscience.
« …il y a des jours où je tuerais des gens, (…), et puis d’autres où je pleure pour un rien ».
J’ai aimé retrouvé ce réalisme dur mêlé de naturalisme si spécifique à Maupassant, qui amplifie les ambiances et les états-d’âme des personnages.
« Le large silence de l’horizon, le somnolent repos du soir engourdissaient les coeurs, les corps, les voix. Il est des heures tranquilles, des heures recueillies où il devient presque impossible de parler ».
Merveille.
La trame narrative m’a étonnée voire rebutée au début. Car on commence dans la tête et les pensées du jeune bourgeois insouciant et profiteur, quelle horreur. Mais l’auteur marque ainsi très habilement son point de vue en plus de nous dire qu’il nous embarque dans une ambiance glauque, noire.
Peu à peu il nous guide vers le point de vue d’Yvette, puis nous plonge subtilement dans ses pensées, ses émotions, turpitudes, dans sa terrible lutte. C’est extrêmement fort.
À la toute fin, retour au point de vue du bourgeois, la messe est dite, on sait qui gagne selon Maupassant dans cette société bourgeoise parisienne perfide.
C’est un magnifique texte sur la liberté, les limites imposées par les conditions sociales, le renoncement.
C’est aussi et surtout une très belle description de personnage féminin en lutte, une description profonde, sensible, remplie d’humanité et de respect.
J’ai adoré.
Et voilà pour ce titre que je vous avais proposé dans le cadre de mon club de lecture de juillet. L’avez-vous lu ?