Un petit défi écriture vu chez Marie https://wp.me/p3RSTt-ejL
Un défi initialement proposé par Evy, sur son blog consacré à l’écriture https://plume-de-poete.over-blog.com/
J’adore y participer quand je le peux.
Cette fois-ci, le thème est le souvenir, et les mots à placer les suivants : rejaillir, jardin, odeur, sentir, récolter, veiller, parler, trésor, carte, entasser.
C’est parti.
» Jeune fille au foulard vert », de Moïse Kisling.
Elle ne pouvait évidemment plus aller bosser après ce qui s’était passé. Le médecin du travail lui avait dit de se reposer et qu’après on verrait. Elle savait par expérience que c’était pas bon signe, quand on vous disait « on verra après ». Mais bon, elle avait besoin de ce temps pour se raccorder après ce terrible après-midi.
Chez la psy, impossible de parler, mais elle se raccrochait comme une flie à son rocher aux explications et conseils prodigués, qu’elle mettait directement en application comme de précieux trésors à bichonner, elle était tellement paumée.
Le matin elle marchait dans les rues en écoutant ses musiques préférées, faisait vite fait ses petites emplettes alimentaires, profitant de l’heure creuse, juste après les personnes âgées, juste avant le rush des salariés. Des pâtes, du pain, du fromage, du jambon et des bananes, voilà à peu près tout ce qu’elle pouvait avaler, les courses étaient vite faites, çà l’arrangeait.
L’après-midi, elle triait ses affaires. Elle passait ses soirées à dessiner puis colorier des fleurs un peu psychédéliques, son carnet en était rempli, tout en regardant des reportages animaliers, Croquette, son vieux matou, vrombissant de plaisir contre sa cuisse.
Elle ne pouvait plus lire ni se concentrer sur un film, çà la rendait encore plus malheureuse même si on lui affirmait que çà allait revenir. Elle « cultivait son petit jardin personnel » avec application, comme conseillé. Et il est vrai qu’elle sentait rejaillir parfois des prémices de joie et d’apaisement, comme des petites étincelles furtives.
« De cette histoire, il est possible de ne récolter que les meilleurs fruits » lui avait dit la psy à la première séance, visiblement informée des faits. Toute à sa frayeur et sa sidération du début, elle se demandait chez qui elle avait atterri, ça sentait l’oracle et la boule de cristal, en bonne scientifique elle avait tout çà en horreur.
Mais elle était revenue, avait fait confiance, suivi les conseils comme des prophéties. Elle sentait qu’elle coupait peu à peu les mauvaises branches et commençait à croire que de petits bourgeons puissent apparaître.
Cet après-midi là, elle avait décidé de s’attaquer à une de ces grosses boites à bazar du fond du placard, celles dans lesquelles on entasse tous les petits souvenirs, les choses devenues inutiles, des boites qu’on peine à fermer après un certain nombre d’années. Babioles achetées sur un coup de tête, modes d’emploi d’ustensiles techniques, cartes postales, vieux bijoux passés de mode, objets à réparer, piles, chaussettes orphelines, vieilles cassettes, ceintures en fin de vie, porte-clés, vêtement à raccommoder oublié, livrets d’exposition, billets d’avion, boutons, cailloux ramenés de voyages…hop hop elle triait, petite boite ou sac poubelle, çà dépotait.
C’est tout au fond de la boite, caché sous un programme de concert de Brahms et une vieille jupe dont elle devait refaire l’ourlet depuis des années qu’elle retrouva le foulard de sa grand-mère, ce précieux foulard qu’elle cherchait depuis des années. Rafistolé, troué par endroits, le vieux foulard de soie vert, qu’elle portait à son cou dès qu’elle sortait de sa petite maison jouxtant la voix ferrée, hiver comme été, sentait encore légèrement son odeur de violette poudrée, c’est sûr, sa grand-mère veillait encore sur elle où qu’elle soit.
Elle s’y réfugia, roulée en boule sur le canapé, le nez collé à la soie, s’enivrant des dernières effluves et pleura pleura pleura des heures durant, joie mêlée de tristesse, souvenirs savoureux cotoyant l’atrocité, tourbillons de fumées de vie dans lesquels elle s’évanouit. Elle dormi douze heures d’affilée. Mieux que le Xanax du psy.
Deux jours plus tard, c’est la tête haute, le cou emmitouflé de soie verte qu’elle alla donner sa démission aux lâches penauds qui n’avaient pas su la protéger ce jour-là.
Voilà. À vous de jouer si çà vous dit, moi je vais goûter…
