Je suis allée voir récemment « Aristocrats », pas Les Aristochats, hein, de la réalisatrice japonaise Yukiko Sode, sorti en France le 30 mars dernier, sorti au Japon en 2021.
À priori assez peu distribué en France, ce film est un petit bijou qui traite tout en finesse de liberté sous l’angle des mariages arrangés qui se pratiquent encore à notre époque dans la haute société japonaise.
On suit Hanako, 27 ans, toujours célibataire, ce qui n’est pas du tout bien vu dans le milieu oligarche hyper traditionnel duquel elle est issue.
La première scène se déroule lors du dîner familial du jour de l’an, Hanako roule dans un taxi, les rues de Tokyo sont vidées de leurs habitants repartis en province, elle arrive en retard, son fiancé vient de rompre, elle doit l’annoncer à sa famille qui, sans tenir compte des émotions et des envies d’Hanako, s’empresse de trouver des solutions, de critiquer son ex-fiancé, de lui parler de jeunes hommes de leur connaissance.
Célibataire à 27 ans dans ce milieu, çà fait tâche, ça peut vouloir dire qu’il y a un problème ou anguille sous roche, il faut des réputations impeccables dans ces milieux.
Lors de ce dîner, le contraste entre les mets délicieux et raffinés, servis dans une magnifique vaisselle dans une pièce traditionnelle épurée, entre en contradiction totale avec la violence des propos de la famille qui ne voient en aucun cas Hanako comme une personne mais comme un objet à caser pour perpétrer la bonne tradition. Sa soeur, divorcée, tente de lui venir en aide, mais personne ne l’écoute, elle est sortie des clous, son avis ne compte pas. Première scène saisissante qui annonce et résume toute la thématique du film.
Désemparée et lassée de chercher seule l’homme idéal, Hanako cède et accepte de rencontrer un jeune homme issu d’une famille de très riches industriels impliqués en politique.
A sa grande surprise, elle tombe amoureuse de ce jeune homme réservé comme elle et finit par accepter sa proposition de mariage.
Mais Hanako va découvrir qu’il entretient depuis des années une relation avec Miki, une ex-étudiante issue d’un milieu populaire de province, venue à Tokyo pleine de rêves mais qui a du interrompre ses études faute d’argent et travaille dans un bar à hôtesses chic.
La rencontre fortuite de Miki, la sympathie qu’elle a pour elle, vont peu à peu faire prendre conscience à Hanako de la bulle dans laquelle elle vit, d’un autre monde qui semble exister, avec d’autres codes et plus de liberté, la possibilité d’un Soi.
La première partie du film est centrée sur Hanako qui, par elle-même, essaie de rechercher un nouveau fiancé et accepte toutes sortes de rencontres, c’est parfois drôle, loufoque. La seconde partie est centrée sur son début de vie de femme mariée, son ennui, sa soumission aux pressions de la belle famille (tomber enceinte, notamment), son désarroi qui semble se transformer peu à peu en détermination.
On entrevoit également tout le mal-être de son mari à qui on confie la succession industrielle et politique de la famille. Seul enfant masculin de sa famille, depuis sa naissance son destin était tracé. Tristes jeunes coupés de leur liberté et de leurs rêves par leur milieu…. Voilà un couple riche vivant dans un appartement somptueux de Tokyo, mais un couple vide, sans vie, ils n’arrive même plus à parler, de vrais pantins sociétaux.
Hanako doute, se demande par quel moyen retrouver une petite once de liberté. Et puis troisième partie magistrale. Une fin simple mais bouleversante qui se clôt sur un regard. Trois secondes qui résument tout, trois secondes qui m’ont retournée, fait pleurer, seul le cinéma japonais peut me faire çà. Magique.
« Aristocrats » est un film subtil et original sur la différence des classes au Japon, des classes qui cohabitent sans jamais se croiser, s’absorber. On est plongés dans une jeunesse dorée, piégée, qui parfois, très rarement, s’interroge, s’émancipe.
J’ai adoré ce film, les acteurs, la manière de filmer de la réalisatrice, son découpage, les scènes de nuit dans Tokyo, les tours de verre illuminées la nuit, la Tokyo Tower scintillante, quels souvenirs fabuleux, et puis la façon dont il raconte la dureté de la société japonaise, c’est rare les films qui vont au-delà des gros clichés sur le Japon.